Adapté par Regis Prat
- Interdit de copier! Principe fondamental lorsqu’on reçoit ses feuilles d’examen. Les surveillants ne doivent pas discuter entre eux, ne doivent faire aucun commentaire ou sortir de la salle, et plus généralement, ils doivent s’abstenir de tout comportement susceptible de gêner le bon déroulement de l’examen. La voix du proviseur sonna fort et clair dans le silence profond et étouffant de la salle des professeurs. Elle était remplie d’enseignants qui se sentaient humiliés par ce ton culpabilisant. Une voix, près de moi, chuchota :
- Que ce passerait-il si un surveillant avait une faiblesse ? Je me tournai et aperçu la plus jolie enseignante qu’il m’ait été donne de voir depuis longtemps. Elle avait un corps menu et délicat, qui disparaissait presque dans le fauteuil dépenaillé où elle était assise. Elle avait une coupe de cheveux très courts et assez inhabituelle. Cheveux est un bien grand mot, car son crâne était quasiment tondu. Cela représentait un étonnement de plus pour moi. Un instant, je pensais rêver. Je n’arrivais pas à saisir le fait qu’elle se trouvât la, ni comment on avait pu l’embaucher.
Il devait y avoir un besoin criant d’enseignants ! Me dis-je. Sans oser regarder encore dans sa direction. Puis je me suis entendu lui répondre – dans ce cas, le collègue le plus proche devra pratiquer la respiration artificielle. Pourquoi avais je dis cela ? Je n’en avais aucune idée ! Je ressentais une impression étrange, comme si quelqu’un me soufflait des mots dans l’oreille, et qu’il me fallait les reproduire. Il me semblait qu’elle avait souri. De sa petite voix douce elle ajouta :
- Pardonnez-moi si ma question vous a apparue incongrue, mais c’est mon premier examen en tant que surveillante.
La musique de sa voix me berçait. Une autre question traversa mon esprit. Pourquoi n’ai-je pas remarqué cette fille, avant ? Sûrement parce que nous travaillions en deux groupes et elle n’était pas dans le mien. Un événement comme celui d’aujourd’hui représentait quasiment la seule chance pour que nous nous rencontrions. Tout de même, pourquoi ne l’ai-je pas vue plutôt ? N’allez pas conclure de cela que j’étais un coureur de jupons, car ce n’est vraiment pas mon style. Non, c’est plutôt que voir une femme, si en dehors des normes de la profession, a produit sur moi un effet très spécial. Un peu comme quand on aperçoit le premier perce-neige, à la fin d’un long hiver, on ne voit que lui ! Ainsi je la voyais à ce moment-là, ainsi je la vois encore. Avec elle, la profession recevait de bons augures, notre collège aussi, et moi avec. Un bruit désagréable me tira de ma rêverie. Le froissement des papiers qu’on distribuait aux enseignants. Pendant ce temps, j’avais manqué le reste des instructions mais c’était égal, car avec les années je les avais mémorisées complètement, c’étaient toujours les mêmes, au mot près. Le proviseur prononça mon nom, puis un nom inconnu. Je la vis se lever et mon cœur s’arrêta une seconde pour ensuite battre frénétiquement. Ce pouvait-il donc qu’on passe les trois heures suivantes dans la même sale d’examen ? Quand j’y pense maintenant, je trouve un peu ridicule, mon excitation de ces moments-là. Le collège n’allait pas tarder à fermer ses portes pour l’été, et qui pouvait garantir que je la verrais à nouveau, à la rentrée prochaine ? Le proviseur pouvait lui trouver un remplaçant, ou bien elle, un chevalier servant. Je construisais sûrement des châteaux sur le sable, en nous imaginant des relations plus intimes, ce devait être une erreur de jugement qui se heurterait à la réalité comme la première vague venue sur un écueil. J’ai attendu qu’elle sorte, puis elle m’a précédé dans la salle d’examen. En chemin, je l’ai trouvée plutôt maigre, ses yeux brillaient de milles flammes faibles, quand j’ai tenté une bonne blague. C’est tout moi, quand je suis gêné, il faut que je raconte quelques vannes stupides dont le résultat est invariablement un sourire poli. Il me sembla pourtant qu’elle fit des efforts pour trouver spirituelles et originales les deux ou trois histoires que je lui avais racontées. Et cela m’enchanta en rentrant dans la salle. Je lui laissais le soin d’instruire les élèves sur les modalités de l’examen, me contentant seulement, d’ajouter quelques précisions. Elle voulut s’asseoir, je lui offris une chaise.
En plein milieu de l’examen, alors que nous ne respections pas le règlement, en parlant tout bas, elle tituba, tenta de s’appuyer contre le mur derrière elle, et je la vis qui allait s’effondrer. Ce fut rapide et imprévu, j’avais dû remarquer une fragilité dans son allure et sa manière de parler, quelque chose d’erratique et de fiévreux, aussi fis-je un bon vers elle, pour la rattraper dans mes bras. J’étais stupéfait, ne sachant que penser, ni que faire. Je me demandais s’il fallait l’étendre sur le sol et appeler au secours, mais j’écartai cette idée comme trop brutale. Je regardais les élèves, ils étaient pétrifiés comme si un magicien leur avait jetés un sort. Sans réaliser ce que je faisais, je me vis embrasser ma collègue sur la bouche. Ses lèvres étaient froides. Je frémis, elle ne pouvait pas être morte ! Puis je me souvins, de cette réponse curieuse que je lui avais faite. Ce n’était pas sérieux et pourtant cela allait se réaliser. J’ai pris mon souffle et je l’ai transféré dans la petite bouche humide et froide. J’appuyais sur sa poitrine avec mes mains, pour la ramener a la vie. Enfin elle rouvrit les yeux. J’y lus toute la tristesse du monde, puis elle s’est rassise.
- Je vais bien, merci.
- En êtes vous sure ? Voulez vous que j’appelle un auxiliaire médicale ?
- Non, merci. Ca va… vraiment ! J’ai connu une faiblesse, comme je vous l’ai dit. Vous vous en rappelez ?
- Oui… oui.
- Ne vous inquiétez pas ! Continuons…
A la fin des trois heurs, les élèves quittèrent la salle, en nous jetant des regards insistants.
- Puis-je te tutoyer ?
-Oui, bien sur.
- Laisse-moi te ramener chez toi. Tu dois te reposer.
- Bon, d’accord, mais pas chez moi, ça peut attendre. Emmène-moi quelque part !
En nous dirigeant vers ma voiture, je vis qu’elle retrouvait ses forces, des couleurs lui montaient au visage.
- Allons vers la plage, je connais un endroit désert, dit-elle. Elle parlait vraiment d’une manière curieuse. Je la sentais près de moi, et elle m’attirait terriblement. Je pensais à l’attraction du jeune homme pour la prostituée malade dans « Crime et châtiment », quand Raskolnikov subit le magnétisme irrésistible de Sonia. Ici c’était sensiblement différent, elle n’était pas une femme facile, je le sentais, moi je n’étais pas non plus Raskolnikov, je n’avais tué personne. En fait, j’étais intrigué, je désirais en savoir plus, mieux la connaître, ou simplement être avec elle, jusqu’ au bout.
En voiture, sur le chemin sinueux qui menait à ce lieu isolé dont elle avait parlé nous discutâmes un peu plus.
- Je t’ai fait un peu peur, admet le ! dit-elle en riant. Ca t’a fichu un coup ?
- Pas vraiment, j’ai essayé surtout de ne pas perdre la tête.
- En tous cas, tu as fait du bon travail, même si j’aurais sûrement retrouvé conscience par mes propres moyens.
J’ai mis de la musique, puis je me suis garé sous un gros arbre à l’endroit souhaité. Je l’ai aidé à sortir du véhicule. Nous avons enlevé nos chaussures pour marcher sur le sable. La mer était comme je la préfère, avec des vagues moyennes qui s’écrasent sur la plage en faisant jaillir l’écume. J’ai regardé la fille, elle avait un sourire mélancolique. Ses yeux étaient luisants et humides, tout comme les vagues.
- Connais-tu le conte d’Andersen « La petite sirène » ? Est-ce qu’il ne t’est jamais venu à l’idée que tu lui ressemblais ?
- Je suis la petite sirène ! dit-elle et bientôt je ne serai plus que de l’écume dans la mer.
J’avais du mal à supporter ce jeu où je ne comprenais rien.
J’ai crié :
- Mais enfin, quel est ton problème ?
- Leucémie – dit-elle calmement, j’aurais pu mourir aujourd’hui ou ce soir, ou demain. Ce sera pour bientôt, de toute façon.
Cela m’a frappé avec la force d’un train en marche, et pourtant je m’attendais à quelque chose de ce genre. J’espérais malgré tout ne pas entendre cela. Sa faiblisse m’avait donné des indices. Je l’ai attirée vers moi, dans mes bras, tout contre moi. Je sentais palpiter son cœur.
- Peux-je faire quelque chose ? dis-je – pourquoi es tu venu travailler aujourd’hui ? J’étais incohérent, mais je m’en foutais.
- Tu en as assez fait ! Quant à la raison pour laquelle je suis venue aujourd’hui … je voulais tout quitter, m’engager dans une action machinale, trouver un dernier recours pour m’affirmer, je ne sais pas trop… être parmi d’autres gens, attraper une dernière vision du monde vivant…
Je sentais des sanglots dans ses paroles. Je me suis écrié :
- Je ne veux pas te perdre, je veux rester à tes cotés… Je t’aime !
- Vraiment ? dit-elle d’un air incrédule, je dois avouer encore une fois que pour moi-même, l’explication manquait. Tout d’un coup, je le sus comme je le savais, à partir du moment où je l’avais rencontrée. J’avais dit la vérité, connue de mon être profond, dés le début.
Elle se dégagea, me fixa dans les yeux.
- Je te crois – dit-elle.
Puis, elle enleva sa chemise et son bikini. Elle me tendit les bras.
- Viens !
J’ai ôté mes vêtements sans cesser de contempler la plus belle femme que j’avais jamais rencontrée. Nous avons fait l’amour sur la plage. Au début je sentais qu’elle était au bord de deux mondes, tandis que je l’embrassais et la pénétrais, puis il y eut comme un certain détachement, et elle s’est donnée complètement. Allongés sur le dos, je la caressais tendrement.
- Tu ne vas pas mourir ! ai-je dit le souffle court, il y a plus de vie en toi que chez n’importe qui en bonne santé !
- Bon… si tu le dis… et pour la première fois, la tristesse avait quitté son sourire. Nous nous sommes levés, main dans la main, avons couru vers les vagues, éclaboussant le sable blanc. Son visage était radieux. On batifolait dans l’eau. On s’embrassait et on nageait. Nous savions qu’on resterait toujours ensemble, elle moi et la mer.
Depuis, je reviens a cet endroit. Je vois l’écume qui s’étale, les vagues qui dansent, je sais qu’elle est la ! Je la sens pressée contre moi, elle rit aux éclats, nous faisons l’amour, elle, moi, et la mer.
mercredi, juin 10, 2009
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